Rivesaltes, un lieu, des temps, ce qu'il en reste de poétique

Ecrire, un moyen spontané que j'ai découvert pendant l'enfance pour porter la charge des sentiments et la dire à ceux qui m'entouraient, à l'adolescence, les mots m'ont permis de supporter le déferlement des émotions, des incertitudes, des peurs que je rencontrais, puis, adulte, la poésie m'accompagne pour transformer le réel en un monde qui prend sens, pour poursuivre mes voyages intérieurs. Aujourd'hui, je souhaite plus que jamais que ces mots puissent rencontrer et toucher ceux qui m'entourent ou que je croisent, afin de permettre la libre circulation entre les personnes et les lieux qui m'entourent et mon univers interne.  

Vous trouverez ci après quelques textes extraits d'un recueil de poésie (qui est en route vers le chemin ardu de l'édition, à bon entendeur), ainsi que les titres et introductions de nouvelles courtes, moyennes et longues dont les personnages n'attendent que la rencontre avec vous!

Rivesaltes, contexte d'écriture d'un poème, écrit spontanément lors d'une rencontre avec un site de mémoire et retravaillé dans le cadre d'appel à écrits pour le mémorial de Rivesaltes

 

"Mars 2006, je crois. Il fait gris, il y a peu de monde dehors mais il me semble tout de même que l'on peut sentir le retour du printemps. On a passé l'hiver, on est là pour voir cette nouvelle année, sa lumière et la promesse des couleurs. Cela fait quelques mois que je suis revenue en France après avoir passé quatre années au Québec. Je suis revenue alors que j'aurais aimé rester là-bas. J'y avais commencé une nouvelle vie, seule. Tout était possible. Mais j'ai choisi de revenir vers mon pays afin de pouvoir y faire immigrer mon futur mari que j'ai rencontré lors d'un voyage à Cuba. J'ai du rentrer car c'est ici que l'on va me donner les droits de le faire venir.

Depuis quelques mois, j'habite à nouveau chez ma mère, le temps de finir de rédiger mon mémoire de fins d'études, le temps de trouver du travail, le temps de me marier. Je me sens un peu enfant à nouveau et profite que les repas soient cuisinés, le linge lavé, les courses faites par celle qui m'a mise au monde. Je profite du temps accordé aux étudiants, une bulle spéciale de paix pour se concentrer sur mes pensées. Je découvre aussi la région que je connais depuis mon enfance mais où je n'ai jamais habitée si longtemps. Avant que je ne parte au Québec, nous habitions l'Alsace, ma mère a déménagé dans les Pyrénées Orientales entre temps. Elle a fui ce lieu qui était devenu insupportable, où mon père, son amour de toujours, l'avait trahie, cette région où tous les regards lui rappelaient que plus rien ne serait comme avant, qu'elle devait vivre sans lui et avec sa douleur. Je découvre alors les Pyrénées Orientales, les sites et les histoires avec avidité. J'ai l'impression qu'un nouveau monde s'est offert à moi. C'est à la fois terriblement délicieux et effrayant. Je viens de mettre quatre année à m'installer à Montréal, je sentais à peine que le lieu commençait à m'appartenir et de nouveau je me sens étrangère. J'ai regardé sur internet, les endroits à visiter, je suis boulimique et j'ai aussi besoin de sortir, ma tête bout parfois. Mon mémoire parle notamment des traumatismes psychiques et comment les raconter et les mettre en scène peut parfois aider à les supporter davantage.

Je ne sais plus ce que j'ai lu exactement sur Rivesaltes et son camp de détention. C'était sur le site du Conseil Général et on y disait qu'il était possible de contacter un guide qui nous ferait visiter. A cette même époque, j'avais lu dans l'Indépendant qu'un couple de jeune gens avait été arrêté dans le train qui arrivait d'Espagne et qu'ils avaient été amenés vers le camp de détention de Rivesaltes. J'étais interpellée. Naïve, je ne suspectais même pas qu'on puisse arrêter et faire vivre réellement une épreuve difficile à des personnes en France, en 2006. Pour moi, mon pays était un pays d'accueil. J'ai appelé. Cela n'a pas été si simple. J'ai compris que peu de personnes avaient fait cette demande et j'ai du insister un peu afin qu'on m'adresse à la guide. On a fini par discuter ensemble au téléphone. Elle était stagiaire à ce moment là, venant d'Allemagne, et faisait ses recherches dans les archives de la ville à ce que je me souviens. On s'est données rendez-vous à Rivesaltes, elle m'a indiqué comment trouver le site. J'ai proposé à ma grand-mère de m'accompagner. J'ai souvent invité ma grand-mère ainsi. Elle aime raconter les histoires de quand elle était enfant, la guerre, la rencontre avec mon grand-père. Elle aime l'histoire aussi. Elle n'a pas hésité, elle est curieuse comme je le suis. Nous nous sommes donc retrouvées toutes deux dans la voiture, et j'ai cherché le site. Je me souviens combien il m'a paru étrange de devoir poursuivre après la ville de Rivesaltes, dans la campagne. C'était des champs. Je n'étais même jamais allée jusque là. Petite cette région était ma région de vacances, on y allait à la mer, c'était le plaisir, le soleil, les cousins. Mon père travaillait beaucoup et pour lui le repos c'était ce soleil et l'eau de la Méditerranée qui lui rappelait celle de son enfance. Avec ses parents, il avait du fuir l'Algérie en 1962, et il parlait parfois avec une certaine nostalgie de ce pays de sa naissance. Les copains, la mer, les méduses, les jeux. Il aurait voulu mourir en nageant. Avec ma grand-mère, nous avons été bien surprises de voir que nous étions seules à attendre devant le site du camp. Et de camp, il y avait bien peu de choses en fait. Des bâtiments en ciment, des barbelés, la terre. J'ai cru m'être trompée mais la guide était là et elle est venue vers nous. En effet elle avait fait très peu de visites depuis le début de son stage. Peu de personnes avaient fait cette demande. Elle était disponible et tranquille. Ma grand-mère l'a beaucoup interrogée. Pas seulement sur le camp, mais sur son pays aussi. J'ai mis du temps à réaliser combien ma grand-mère était encore blessée de ses souvenirs d'enfance. Pour elle les allemands étaient encore les Boshs, les ennemis dont il fallait se cacher, à qui on devait jeter les pierres. Intelligente et cultivée pourtant, elle avait appris à un âge précoce qu'il y avait les bons et les méchants. Histoire de survie- deux de ses oncles sont morts pour de vrai. On ne fait pas semblant avec ces choses là. Je l'ai amenée à Berlin quelques années plus tard. La réconciliation a eu lieu il nous semble, lorsqu'un jeune homme, allemand, l'a aidée à se relever alors qu'elle avait chuté d'un trottoir sur une avenue, et que les voitures menaçaient de redémarrer. Ce moment a marqué un point dans sa tête, et avec moi comme témoin.

Lorsque nous avons visité le camp, je n'avais pas de raison personnelle que je comprenais. Depuis j'ai continué d'explorer les événements de vie arrivés à ma grand-mère, à mon père, et à d'autres personnes de ma famille, écrivant et mettant en scène un spectacle pour me libérer un peu de cette angoisse de la mort qui a tant plané sur moi, pour tenter de m'apaiser et de moins courir contre le temps. Quand j'ai visité le camp, je ne savais pas, j'ai senti, cela m'a débordée, les images, les souvenirs de ce qui a avait pu se passer dans ce lieu m'assaillaient. J'étais à la fois heureuse et honteuse de me tenir debout face aux montagnes, à la lumière, de respirer, d'avoir ma vie et mes soucis de jeune femme française née en 1979. Ce trop plein m'a suivie, sur la route, au travers de la journée, de la nuit... J'ai eu besoin de le transformer, de le faire passer à d'autres. Alors comme j'avais trouvé depuis mon enfance ce moyen pour tenter de donner du sens à ce qui m'envahissait, j'ai écrit, de la poésie. Ce poème. Je l'ai envoyé je crois à cette époque au Conseil Général, je voulais le donner au Mémorial qui n'existait pas. Je voulais pouvoir crier ces cris et silences qui continuaient à résonner dans ma tête. J'aurais voulu ainsi que les femmes, les enfants, les hommes dont j'ai vu les fantômes ce jour là sentent mon hommage, sentent qu'ils n'étaient pas oubliés et qu'on pouvait souffrir encore avec eux.

 

Rivesaltes

 

Un si beau paysage pour mourir

Enfermés, parqués,

Encerclés de fil barbelé

Autour fières et éternelles

Les hautes montagnes témoins fidèles

Sous le ciel bleu tant désiré

Leurs corps martelés

 

Ils ont pour mourir un si beau paysage

Ils ont pour mourir un tableau sous les yeux

Qui s'emplissent de larmes

A voir ce monde qu'ils quittent peu à peu.

 

Ils ont sous les yeux des couleurs qui nourrissent

Un bel horizon qui appelle au pardon

Le rêve et l'espoir s'envolent où ils peuvent

Résonnent dans les contrées beaux et légers

Mais les corps blessés restent

 

Ils ont face à eux une peinture pour mourir

Sujets d'un tableau qu'ils n'ont pas dessiné

Ils restent dans nos yeux, dans nos coeurs, nos mémoires

 

Figés dans une image, leur histoire arrêtée.

 

Recueil de nouvelles (également en cours de recherche d'un éditeur...)