Atelier de théâtre social d'improvisation, forme nommée « Théâtre playback » Rejouer en direct des histoires réelles pour créer du lien social entre spectateurs

Atelier de théâtre social d'improvisation, forme nommée « Théâtre playback » Rejouer en direct des histoires réelles pour créer du lien social entre spectateurs (MIRALLES, A. & OLIVIER, K.)

A. Présentation des intervenantes Nous nous présentons de manière théâtrale, chacune racontant brièvement comment nous en sommes venues à utiliser le théâtre playback comme processus dans nos pratiques, et l'autre représentant spontanément en réponse à cette narration une forme jouée, avec peu de mots, et une recherche d'esthétique qui transmet le message de manière complémentaire.

« J'ai découvert le théâtre playback lors de mes études de dramathérapie à Montréal, lorsque je suis revenue en France, j'avais besoin de construire mon propre réseau social et je souhaitais aussi trouver une manière d'implanter du changement par un outil porteur de dialogue et d'espoir dans ma communauté. J'ai choisi de créer une compagnie de théâtre playback dans la région perpignanaise. »

Kathleen OLIVIER, psychologue en centre médico-psychologique (C.MP. Fernand Léger à Perpignan, pédopsychiatrie), dramathérapeute, artiste (écriture et arts de la scène). J'ai créé et codirigé une troupe de théâtre playback pendant 8 ans. Je continue d'intervenir avec cette forme dans le cadre de conférences, dans la formation, dans des espaces associatifs et privés ; je l'utilise aussi comme outil thérapeutique auprès des pré-adolescents du C.M.P . kathleenoliv@yahoo.com 06/13/36/62/05 www.créathérapie.org

« J’ai toujours été attirée par le théâtre. En tant que jeune adulte, j’habitais en Angleterre et utilisais donc l’excuse que l’anglais n’était pas ma langue natale pour ne pas me lancer.  Quelques années plus tard, alors résidante en Italie, je finis par m’inscrire à un atelier théâtre. Ce fut très dur ! En même temps, cela me donna envie de continuer et je perfectionnais mes formations jusqu’à la rencontre avec le théâtre Playback, qui fut une vraie révélation. Lorsque je le pratique je me sens libre et moi-même, un espace personnel privilégié, au service de l’autre. » 

Angélique MIRALLES, coach certifiée, facilitatrice et artiste, formée aux arts spontanés (peinture, écriture, chant, théâtre), au théâtre playback en Irlande et membre d’une troupe intervenant lors de séminaires professionnels et auprès du public depuis 3 ans. Utilise le théâtre Playback en entreprise également. angeliquemiralles@gmail.com - 06 66 55 75 40 – http://encipai.fr

B. Description de la forme Le « théâtre playback » est une forme théâtrale qui est a été structurée par Jonathan Fox et ses collègues et est enseignée depuis une trentaine d'années depuis les Etats-Unis et dans une cinquantaine d'autres pays : http://www.playbackcentre.org/. Le principe est celui de la possibilité pour chacun de venir raconter un bout de son histoire de vie, qui sera entendu par la communauté et transformé par les acteurs en un acte esthétique théâtral. Ainsi un événement personnel devient un récit collectif, où chaque spectateur peut se reconnaître par la mise en lumière des questions existentielles traversant cette histoire. La mise en scène permet une mise à distance et une transformation par les formes, les métaphores, les personnages, les couleurs et les musiques. Les émotions véhiculées dans ces histoires sont à la fois rendues visibles et partageables et contenues par le jeu des acteurs qui utilisent à la fois l'humour, des formes théâtrales spécifiques au théâtre playback mais surtout une qualité d'écoute et de respect de l'histoire racontée. La multiplicité des 

points de vue sur un même événement transparaît rendant d'autant plus évidentes la notion de vérités multiples. Les histoires apparemment futiles, honteuses ou sacrées prennent toute leur valeur et deviennent mémoire collective pour les narrateurs et spectateurs présents (Feldhendler, 2005). Mise en scène Dans sa forme classique, le Théâtre Playback compte 4 à 5 acteurs sur scène dont un meneur de jeu et souvent un musicien.  Les acteurs sont assis sur des cubes en bois et leurs seuls « costumes » sont des tissus de couleur et de matières différentes qui sont mis dans un angle à leur disposition.

Le meneur a pour rôle de faire le lien entre le public et les acteurs. La représentation peut se faire sur un thème choisi en amont ou alors laisser libre cours aux sujets qui apparaissent spontanément et correspondent à l'ambiance du moment. Une représentation commence souvent par une phase d’échauffement, qui s’accompagne d’improvisations courtes, souvent mettant en acte des émotions ou encore des tiraillements intérieurs. Une fois la confiance établie, le meneur collecte une histoire à la fois de la part des spectateurs.  Les acteurs jouent son histoire, soit dans des formes spécifiques travaillées par la compagnie et que le meneur de jeu choisit pour l'adapter au type d'histoire, soit de manière plus autonome, faisant ressortir métaphores, allégories, non-dits, représentations physiques, musicales et émotionnelles. D'autres histoires sont ensuite racontées et un fil rouge se déroule où les thèmes se répondent de manière instinctive. Une communication s'établit implicitement entre les narrateurs, les acteurs, les spectateurs. 

« Il faut tout un village pour élever un enfant ...la transmission exige des lieux pour que la parole circule et que « l’inquiétante étrangeté » du témoignage des anciens soit entendue par ceux qui leur succèdent », Cyrulnik (2014).

C. Expérimentation lors de cette journée de rencontres internationales des arts thérapies, dans un format très court : 20 minutes d'expérientiel et 5 minutes d'échanges La proposition lors de cette journée est de permettre aux participants de se positionner comme acteurs et narrateurs et de découvrir certaines des formes du théâtre playback afin de développer une écoute des essentiels recelés dans les histoires des autres. Il s'agira aussi de faire expérimenter la multiplicité des manières d'entendre et de vivre un même événement. Enfin, cet atelier propose une expérience collective de création où l'apport de chacun vient transformer l'acte commun.

Ceci sera précédé d’une préparation à la spontanéité par le biais d’exercices simples et ludiques. Le processus proposé est également coaché sur le moment afin de maintenir l’énergie et l’implication des participants.

Expériences proposées 1. Miroir collectif d'un geste et d’un son proposés spontanément par un participant : le principe est que chaque volontaire puisse expérimenter de voir reproduit par le groupe un geste et un son qu'il aura initié. Cela conduit à un sentiment d'être entendu (reconnaissance de ses affects et de sa présence particulière au sein du collectif) ainsi qu'à un sens d'appartenance au groupe (effet cathartique du rituel) :« Chacun s’appuie sur le rythme commun pour s’enraciner, se relier et être auteur d’une création personnelle qui, à son tour, nourrira le groupe » (Klein, 1997 ; p. 72).

2.  En sous-groupe, chacun nomme une émotion qu'il ressent et les autres lui renvoient des images 

diverses représentant cette émotion. Cela permet d'explorer les diversités individuelles des représentations d'un même mot/affect : « Nous amenons par là une possibilité de développement du répertoire d’émotions pour plus de souplesse dans la relation qu'avec une pensée binaire et s'éloigner des processus primaires de clivage, de projection, de déni » (Irwin in Weber & Haen, 2005; p.10).

3. A deux, l'un va raconter un court événement l'ayant marqué au cours de la journée (confiance en nos mémoires émotionnelles) et l'autre va à re-raconter de manière non verbale et poétique ce qu'il vient d'entendre. Cela amène à développer une attention très fine et empathique pour l'écoutant/acteur et à développer un lien d'intimité et de retrouvailles avec soi-même ; « comment chaun est affecté par la réponse de l'autre, et comment se joue cette « danse » de régulation affective mutuelle » (Kindler, in Weber & Haen, 2005 ; p.91).

4. En grand groupe de nouveau, chacun peut jouer sur cette scène collective quelque chose qu'il a trouvé au cours de ce processus partagé.C'est un temps de rituel qui permet d'ancrer et donner sens aux vécus subjectifs : « cela a été un rite de passage...une confiration que tout cela a vallu le coup, et que les parts de soi-même partagées avec le monde ont été acceptées (Snow, in Lewis and Johnson, 2000 ; p.236). 

D. Discussion Le théâtre playback étant une forme improvisée et interactive, nous avons choisi de proposer un atelier expérimental.  En effet, nous favorisons la découverte en action au préalable afin de permette à chacun de vivre de l'intérieur le processus, ceci afin de contourner les jugements inhérents au sentiment de crainte dans le lâcher prise. Chaque participant le souhaitant, a pu prendre part à l’animation et en retirer ce qui lui semble opportun.  Les participants ont évoqué un grand plaisir à jouer ensemble, à être en action, à pouvoir s'exprimer librement.« Chaque homme cache en lui un enfant qui veut jouer », Nietzsche. Un court temps de parole et d’échange a été aménagé afin de répondre aux questions des participants.

Voilà les réponses à ces questions :

« Est-ce la même chose que le psychodrame ? »

En effet, le théâtre playback émane entre autres courants aussi du psychodrame morénien pour sa part psychodynamique, mais également du théâtre avec ses formes esthétiques et du rituel pour la composante collective. Une différence notable réside dans le fait que, dans le théâtre playback, le narrateur ne joue pas dans sa propre histoire mais choisit les acteurs pour jouer le protagoniste ainsi que les autres personnages de son histoire. Ensuite, la liberté de jeu est laissée aux acteurs qui créent une représentation théâtrale permettant une plus grande mise à distance émotionnelle du narrateur. Le narrateur n'intervient plus jusqu'à la fin de la scène où il pourra donner ses impressions et corriger des détails de l'histoire. Parfois une nouvelle mise en scène est proposée. Certaines formes du psychodrame sont utilisées en théâtre playback telles que le soliloque ou le double (nommé paire avec des variantes).

« Dans le cadre thérapeutique auprès des enfants, accordez-vous un temps de parole à la fin, ou arrêtez-vous de la même manière à la fin de l'acte théâtral ? »

« En effet, dans la forme traditionnelle de théâtre playback, qui est un théâtre à visée sociale, c'est le processus même qui favorise la transmission entre individus d'expériences, de pensées, d'affects. Il n'y a pas de temps de discussion organisé par la troupe d'acteurs mais, spontanément, on observe 

davantage d'interactions entre les participants, certains viennent nous rencontrer après le spectacle pour poursuivre la narration, rajouter des éléments qu'ils avaient omis, ou dire l'effet que le processus a eu sur eux. Dans le contexte thérapeutique avec les enfants, j'utilise le théâtre playback dans un contexte plus global de la dramathérapie (Jennings, 2011), où les enfants développent les compétences d'écoute et d'expression en amont de la narration des histoires. En fonction de ce qui se déroule dans le groupe, nous proposons des thèmes d'histoires, ou alors certains enfants ont le désir de raconter une expérience particulière. Suite au jeu, nous permettons à chacun de dire ce qu'il souhaite, son ressenti, une observation, associer sur une autre histoire. 

« Vous est-il déjà arrivé de refuser une histoire ? »

« Non, jamais. En effet, il n'est pas facile de recevoir toutes ces histoires qui sont chargées émotionnellement, parfois confuses. C'est tout un art pour le meneur de jeu de savoir soutenir la narration par des questions qui clarifient les diverses parties de l'histoire, de reformuler, mais aussi de contenir émotionnellement le narrateur. Il existe d'ailleurs des formations spécifiques à cette posture du meneur de jeu. En fait, les situations les plus complexes ont souvent eu lieu dans les contextes les plus inattendus, dans des représentations en théâtre ou en restaurant, où le narrateur se voit parfois emporté par la profondeur et l'impact de son histoire qu'il ne présupposait pas forcément au départ. C'est aussi tout le travail d'atelier des acteurs que de pouvoir travailler sur leurs propres histoires afin d' en être en partie dégagés lors des représentations pour être au maximum disponibles au public. La fois où j'ai été le plus en difficulté a été lors d'une représentation privée pour un anniversaire ; la personne ayant elle-même été prise au dépourvu dans sa propre maison, les thèmes lancés ont cherché à vérifier la solidité et cohérence des acteurs afin d'établir la confiance.

« Lorsque vous utilisez cette forme avec les patients, sont-ils directement acteurs ? »

Non, l'utilisation de l'outil théâtre playback s'inscrit dans un contexte thérapeutique plus global avec un cadre sécurisant, englobant divers rituels de début et de fin, des professionnels de la thérapie, et une gradation fine du processus thérapeutique. Les enfants-acteurs apprennent à développer des compétences de reconnaissance et d'expression des émotions sous forme physique. On soutient leurs capacités d'empathie et d'écoute verbale et non verbale. Ils développent une dynamique groupale où chacun trouve sa place particulière et construisent une confiance mutuelle. Ensuite l'outil théâtre playback est utilisé dans une forme simplifiée, où un enfant choisit parmi ses pairs chaque personnage de son histoire. Certains sont en position de spectateurs. Nous utilisons davantage d'arrêts sur image pour laisser aux jeunes le temps de nommer le vécu de la position du personnage. Ils expérimentent aussi les doubles pour permettre l'expression des non-dits. A la fin, l’histoire, est de manière symbolique, ré-adressée à son narrateur par un geste de la main.

E. Applications Les champs d’application du Théâtre Playback sont vastes et variées.  En voici quelques exemples : Dans un cadre de changement d’ordre social : Pour reconstruire la mémoire collective (travail d’Armand Volkas : Soigner les blessures de l'histoire) Pour ouvrir un dialogue sur des thèmes sociaux et politiques Pour prévenir le mal-être Pour promouvoir la santé Dans un cadre d’entreprise Pour développer des compétences d’écoute, de présence, de prise de parole en public etc

Pour élaborer et accompagner des phases de changement Pour faciliter le partage sur des thèmes spécifiques Pour prendre de nouvelles directions Dans un cadre d’éducation Pour développer de nouvelles compétences techniques et relationnelles Pour augmenter la prise de conscience individuelle et collective Pour reconnaître la valeur du point de vue de l’autre ou des autres Dans un cadre thérapeutique (Jo Salas) Pour favoriser le changement et l’expérience de nouveaux rôles Pour développer l'empathie et les compétences relationnelles Pour mieux reconnaître ses propres affects, points du vue et se subjectiver. Lors d’évènements communautaires Pour permettre à des thèmes communs d’émerger et les discuter Pour retrouver un sens communautaire, une histoire partagée Pour un espace de partage authentique et respectueux des différences Lors de performances publiques Pour donner de la dignité aux histoires personnelles Pour créer un sens d’appartenance à une communauté Pour vivre une expérience commune forte en émotion 

F. Références

 Cyrulnik. B. (2014):   http://www.psy-luxeuil.fr/article-boris-cyrulnik-raconte-la-memoire  traumatique-123192922.html  Feldhendler, D. (2005). Théâtres en Miroirs: L’Histoire de vie - Mise en scène, Téraèdre.  Jennings, S. (2011). Healthy attachments and neuro-dramatic play.Jessica Kingsley publishers.  Kindler, R.C. (2005). Creative Co-construction,  In Weber, AA.M. & Haen, C. (2005). Clinical applications od drama therapy in child and adolescent treatment.  Klein, J.P. (2010). L'art-thérapie. Puf.  Salas, Jo. Le Théâtre Playback : un cadre de guérison. In P. Lewis & D.R. Johnson (Eds), Current approaches in Drama therapy (pp. 288-302), Springfield, IL: Charles C. Thomas. (version traduite sur  dramatherapiefrance.wix.com)  Snow, S. (2000). Ritual/theater/therapy. In P. Lewis & D.R. Johnson (Eds), Current approaches in Drama therapy (pp. 218-240), Springfield, IL: Charles C. Thomas.  Volkas, A. (2003). Armand Volkas keynote address. Dramascope : The Newsletter of the National Association for Drama Therapy, 23(1), 6-9. (version traduite sur  dramatherapiefrance.wix.com)  Volkas, A., (2014) Drama Therapy in the Repair of Collective Trauma, In N. Sajnani & D. Johnson (Eds.), Trauma-informed Drama Therapy: Transforming Clinics, Classrooms, and Communities  (pp. 41-68), Springfield, IL: Charles C. Thomas.