Voyage de recherche en Roumanie, été 2009

Projet « Wolf », deux semaines de bénévolat en Roumanie http://www.suejennings.com/wolf.html

Eté 2009, embarquement pour Bucharest. Puis taxi jusqu'au petit village de Zarnesti, non loin de la belle ville traditionnelle de Brasov dans la fameuse Transylvanie. Depuis plusieurs années déjà, Sue Jennings, pionnière de la Dramathérapie au Royaume Uni s'est installée dans ce pays qui l'a généreusement accueillie. Fidèle à son enthousiasme et son énergie, elle développe dès lors la Dramathérapie dans plusieurs institutions et autres lieux où le public peut en bénéficier: un établissement pour adultes avec autisme et un autre pour les enfants souffrant de la même affection, un accueil hospitalier mère-enfant, une maison d'enfants, un lieu d'accueil pour sans-abris, un camp gitan... 

Cette année, elle nous accueille (ainsi que ma mère et mon fils) chez elle avec d'autres volontaires, après avoir donné un stage de Dramathérapie et à la Thérapie par le Jeu dans ce même lieu qui est devenu un centre de formation*. Pendant plus de dix jours, nous avons passé nos journées dans les différents lieux nommés. Moi même, j'ai pu rencontrer les familles gitanes puis les enfants du lieu de vie. C'est cette expérience comme Dramathérapeute que je souhaite vous partager ici.

Le camp gitan.

Par delà les conséquences thérapeutiques de ces rencontres, c'est surtout le lien social qui bénéficie de nos interventions. Lien social dans l'ouverture au monde avec des volontaires de toutes nationalités pour ces adultes et ces enfants qui sont encore l'objet de forts préjugés dans leur propre pays. Lien social au sein même du camp où les plus démunis et les plus fragiles (les filles, les plus jeunes, les handicapés) sont exposés à cette réponse d'exclusion. Les jeux que nous proposons ont leur règles qu'il s'agit de respecter. Les règles hiérarchiques du camp sont ainsi réaménagées et permettent à ceux qui n'en ont pas l'habitude d'avoir une place entière dans le groupe. Les « leaders » aussi trouvent leur place en co-animation ou soutien de leurs pairs. Les adultes aussi bénéficient de nos propositions de jeux où nous leur demandons d'être figures d'exemples et représentants de la loi dans une société où les différences de générations sont parfois floues (mères très jeunes, adolescents dans un rôle d'adulte). Ils peuvent ainsi aider à 

organiser, ordonner le déroulement d'un jeu mais aussi y participer. Les relations parents-enfants prennent alors parfois un nouvel aspect, plus ludique et léger malgré les difficultés de la vie quotidienne. Nous avons choisi de ne pas apporter beaucoup de matériel alors que le manque est évident. Nous voulions privilégier l'aspect relationnel, et la créativité qui pourrait être gardés après notre passage. Quelques petites expériences de querelles et de scissions dans le camp autour de possession d'objets nous ont conforté dans ce choix. Cependant des activités créatives avec du matériel à dessiner ou de la simple pâte à modeler nous ont fait observer les carences dans la connaissance et les capacités à exprimer leur pensée symbolique chez certains enfants. Le besoin de garder des objets concrets (créations) s'est également fait sentir et nous l'avons accepté; plusieurs enfants, mais des adultes aussi sont rentrés chez eux avec le « trophée » souvenir de ces journées particulières mais aussi représentant de ces moments-clé de leur créativité. Le chant et la danse ont été une activité privilégiée pour faciliter notre rapprochement des cultures - dans les différences mais aussi dans le plaisir commun, dans l'humour ou l'engagement corporel. Rapidement, des adolescents ont amené leur propre poste de musique pour nous intégrer à leur quotidien. Les chants et les danses traditionnels ont été perdus en partie pendant le régime communiste qui a tenté de détruire les racines culturelles. Face à nous, il a semblé que les traditions pouvaient reprendre quelque sens. Le départ a été riche en émotions même si chaque année d'autres bénévoles viennent partager un temps dans le camp qui y est donc un peu habitué. Pour se préparer aux aurevoirs, ils s les ont répétés jusqu'au jour final, agrémentés de prises de photos où chacun prépare la pose dans laquelle il veut être vu dans le monde, souvent seul ou avec des amis choisis, fort, fier. De belles images que nous n'oublierons certes jamais.

La maison d'enfants

Dans ce lieu de vie où une douzaine d'enfants entre 5 et 12 ans vivent ensemble, d'autres bénévoles sont déjà venus, et les chansons comme les jeux que nous leur proposons semblent reconnus. La nouveauté est inquiétante  et la répétition est rassurante lorsque la stabilité affective a fait défaut. Le jeu du « parachute » qui est souvent utilisé par les thérapeutes par le jeu est par exemple demandé et les enfants nous amènent au jeu final où la toile est levée afin de s'en faire une cabane: une maison où nous restons tous ensemble quelques instants. Cette année nous venons juste avant l'arrivée d'un nouvel enfant dans cette maison. Dans l'objectif de préparer les enfants à cette nouvelle rencontre, nous amenons avec nous une marionnette, 

l »enfant » sur lequel toutes projections pourront être vécues, haine comme amour, et travaillées avec les adultes en amont de la vraie rencontre. Le groupe est ici comme une famille où la présence de l'un étaye l'autre mais aussi où des relations de pouvoirs se jouent. La question d'un travail individuel peut se poser car une violence sous-jacente vient souvent poindre dans les jeux. Le matériel amené est encore une fois objet de lutte et le désir de possession se fait ressentir; la nécessité d'amener un matériel en quantité limitée apparaît ici encore. Dans ces moments de création, l'envie de réaliser une « oeuvre » personnelle est forte et les enfants font preuve d'une attention remarquable. Cependant, c'est aussi là que l'on découvre comment la créativité est dure à atteindre pour certains chez qui les histoires de vie ont parfois laissé un vide dans la capacité à exprimer ses propres images...On voit alors des tentatives de copier, de prendre l'objet d'un autre pour y mettre son propre nom, pour pouvoir afficher « sa « création malgré tout. Un des plus beaux moments dans ce lieu sera pour moi une mise en scène commune à partir d'une histoire qui est lue aux enfants. Ils connaissent bien ce principe qui est utilisé par les éducateurs. Cette fois là, c'est l'histoire de l'indien Oséo qui est parti à l'aventure pour finalement se trouver bien chez lui qui est racontée, en anglais et en roumain. Dans les mises en scène iles enfants trouvent chacun leur place, acceptent sans difficulté d'échanger les rôles, d'inverser les positions masculines et féminines, d'adultes et d'enfants. Les plus durs peuvent se laisser être fragiles et les plus jeunes peuvent offrir leurs propres capacités à prendre soin. Les éducateurs se prêtent au jeu et leur relation enfants- adultes deviennent plus complices, trouvant plaisir et humour dans ces histoires où les enfants ont  été trop tôt confrontés aux réalités et où les adultes sont souvent pris au dépourvu face à ces souffrances. Les moments d'applaudissement après les présentations sont intenses et pleinement reçus, chacun donnant et recevant la part de valorisation qui lui revient. Puis nous partons, comme nous sommes venus, des émotions et un temps partagés, changés par ces rencontres même de manière infime, visible ou non, en tous les cas spectateurs communs d'un même spectacle.

* Pendant ces jours, Sue Jennings nous a informés de l'approbation de la formation de Dramathérapie par le Collège des Psychologues de Roumanie.