Soin et humanité, entre réalités cliniques et politiques, mon point de vue sur le dispositif de remboursement des séances de psychologie du 1er avril 2022

Soin et humanité, entre réalités cliniques et politiques, mon point de vue sur le dispositif de remboursement des séances de psychologie du 1er avril 2022
Suite à la proposition du dispositif de remboursement des psychologues, j'ai écrit à la CPAM et à l'ARS en juin. je viens de recevoir un courrier de la CPAM, cela fait du bien de sentir de l'écoute humanisante;
Réalités: les pratiques cliniques d’une psychologue en libéral sur Elne
Suite au dispositif de remboursement des séances de psychologie voté et applicable au 1er avril 2022, des patients sont venus m’apporter le document remis par leur médecin pour demander remboursement des soins. J’ai dû leur expliquer que les conditions proposées ne correspondaient pas à la réalité de mes pratiques (temps des consultations, nombre de séances, liens nécessaires vu la gravité des situations), et que pour des raisons éthiques (la priorité du soin ajusté à la demande), elles ne m’étaient pas applicables. Ces patients ont compris. Je vous explique également.
Formée par un Master 2 en neuropsychologie clinique en 2006 par l’Université de Bordeaux, et un Master 2 en dramathérapie en 2007 par l’Université Concordia de Montréal, j’ai travaillé dès 2008 et pendant 8 ans à temps plein en centre médico psychologique pour enfants à Perpignan - car je souhaitais exercer en pédopsychiatrie. Pendant ce temps, j’ai mis en place des groupes thérapeutiques, je me suis formée à mes frais en EMDR (cette formation n’a pas pu m’être payée par l’hôpital qui pourtant m’adressait des patients adultes de différents secteurs pour bénéficier de cette approche demandée). En 2016, j’ai décidé de démissioner car les conditions s’étaient largement agravées en 8 ans: pour répondre aux demandes croissantes des patients sans avoir davantage de moyens, je recevais des patients sur mon temps de repas, sur mon temps F.I.R (normalement dédié à la réflexion) et faisais des heures supplémentaires sans les compter. Le temps des rencontres était fixé à une heure mais cela pouvait durer plus longtemps surtout pour les premières rencontres ou en présence de plusieurs personnes. Cela ne m’était pas demandé par ma hiérarchie et j’aurais pu recevoir ces patients sur le temps alloué, soit plusieurs semaines après leur première demande et à un rythme bien inférieur au besoin avec des durées de séances plus courtes. La qualité de l’écoute dépend du bien être psychique du thérapeute.
J’ai ensuite travaillé 4 années à mi temps au CMPP de Perpignan. De la même manière, les temps de séances de 45 minutes ne correspondaient pas aux besoins réels et rencontrer les patients de manière consécutive offre pas la possibilité des réflexions nécessaires à l'élaboration psychique et émotionnelle au coeur du soin. Même si l’institution a su offrir du temps supplémentaire pour la préparation et la réflexion autour des groupes thérapeutiques qu'ils me laissaient créer, les contraintes administratives imposées venaient envahir le temps de la clinique. J’ai démissionné une nouvelle fois pour sauver ma santé mentale et rester en capacité de travailler dignement pour les personnes qui viennent avec des demandes d'aide, démarche déjà difficile à entreprendre.
Depuis presque deux ans, je travaille exclusivement comme auto-entrepreneure. En pleine crise du Covid cela m’a permis de me rendre à domicile chez des patients alors qu'zn institution cela ne m’aurait pas été possible. Je n’ai jamais augmenté mes tarifs pour cela, ma priorité était le soin.
J'ai également pu accueillir des patientes en grande détresse suite à des traumatismes graves. Je les ai soutenues par téléphone jusque dans les weekends alors que les demandes d'hospitalisation restaient sans réponse par défaut de places (une clinique a récemment refusé la dame que je visite à domicile et qui ne peut porter le masque car ce type de toucher sur le visage déclenche des symptômes post traumatiques. On l'a renvoyée vers son suivi avec moi alors que j'avais longuement travaillé pour qu'elle accepte ce soin permettant soutien psychiatrique et socialisation).
Je ne manque pas de faire des liens, par écrit ou par téléphone, avec les partenaires thérapeutes et éducatifs (pour les jeunes accompagnés) ce qui prend un temps de travail non négligeable en dehors du temps de consultation, mais permet d'accompagner les situations de scolarisation complexes et du soutien en réseau lors de phases de grande détresse (pensées suicidaires, troubles du sommeil, de l'alimentation ou auto et hétéro agressif).
La proposition de l'état d'un cadre de séance évalué à 40 minutes par patient n'est pas en accord avec la réalité, ni de l'accueil ditect, ni des liens indirect). Diminuer le temps nécessaire au soin revient à ne pas pouvoir soigner correctement. La proposition financière de remboursement à 30 euros les 45 minutes amènerait obligatoirement à un fonctionnement ' à la chaîne ', sans possibilité d'écrits, ni de liens interprofessionnel, ni même d'élaboration psychique. Cela mène à une impossibilité de travail thérapeutique réel et un risque psychologique pour le professionnel même.
Je suis témoin de la souffrance de mes collègues en institution qui pour beaucoup restent par engagement humain. Je ne comprends pas comment ces faits ne sont pas entendus et pris en compte par les décisionnaires. J'explique à mes patients la résistance nécessaire à cette fragilisation du soin généralisée (peut être par manque de connaissance du terrain, j'ose l'espérer).
Je vous adresse ce courrier en ce sens, pour que soient rapportées les réalités cliniques de ceux qui oeuvrent pour le soin psychique.
Cet acte part d'une nécessité d'expression d'une opposition tranquille et éthique aux propositions actuelles avec l'attente que d'autres mesures plus ajustées apparaissent.
La démarche de l'état de favoriser l'accès aux soins psychologiques est à poursuivre en tenant compte de la réalité des pratiques en durée de séance et tarification.
Kathleen Olivier, psychologue
Nb 1. Je facture 60 euros de l'heure au conseil départemental pour les nombreux enfants suivis par l'aide sociale à l'enfance qui me sont confiés. Cette somme inclut le travail autour des séances. Les autres patients ont également droit à ces services même si je demande la somme moyenne de 50 euros de l'heure et que le tarif officiel de soin par l'Emdr est de 70 euros).
Nb 2. Je n'hésite pas à proposer un tarif de 40 euros de l'heure aux patients qui sont en difficulté de paiement et accompagne plusieurs situations précaires de manière gratuite.
Nb 3. Je suis choquée du déni des réalités et espère un message de bonne réception de ce courrier.

Fil RSS