Casamance et tradithérapie, février 2017

Casamance et tradithérapie, février 2017

Casamance – Sénégal – Février 2017

 

D'abord des images, des mots. Un rêve possible sur cette planète où le temps de vie est compté, pressés dans des journées. Heures de travail, heures de sommeil, heures de bouchons, heures de courses, heures d'école, heures de sport, demi-heure de thé avec une amie, demi-heure de devoirs des enfants, demi-heure de un film avec toi, petit temps pour lire une histoire, avancer d'une page… Cela fait des mois que je ne t'ai pas écrit, pas appelée, pas oubliée. Je suis désolée, je ne suis pas maîtresse de mon temps. J'ai des obligations. Je dois gagner pour ne pas perdre, je dois courir pour qu'on ne me rattrape pas, je dois respirer pour ne pas expirer mon dernier souffle. Combien j'ai rêvé!Je dois me dépêcher, monter dans l'avion, sauter en cours de vol, gagner ces sommes d'argent déjà dépensées, oublier de compter pour ne pas m'effrayer, et croire que tout est possible tant que l'on court, tant que l'air pénètre mes poumons.

 

Casamance. Je ne sais pas où c'est. Ca sonne bien à mes oreilles. Comme un métal précieux, comme l'inconnu, comme les épices, les tissus, le thé je ne sais pas, la musique. Je sais que c'est en Afrique car l'enfant est métisse. Noir et blanc métisse. Je sais que c'est loin car il a bien fallu que l'amie parte assez loin de notre monde pour voir si c'est mieux ailleurs, pour sauver sa peau. Mais on ne peut pas quitter la terre, et raconter yeux dans les yeux. J'ai vu l'amie qui racontait par son corps, les tresses, les perles, les tissus de couleur, les yeux bleux/noirs profonds qui racontaient ce que j'ignorais encore. Et derrière les mots dits, tous ceux qui ne se disent pas, les plus importants. J'ai vu la langue tirée, les yeux révulsés pour regarder l'autre monde, celui que je ne connais pas encore, celui qui m'attire car je suis fatiguée. Fatiguée de chercher, chercher le lieu où me poser, le lieu juste, le lieu pur, le lieu qui n'existe pas, celui qui apaise, qui réconforte, qui anesthésie les questions. Le lieu qui est plein, où l'esprit ne cherche ni avant, ni après. Juste un instant complet.

 

Le voyage s'est construit comme dans un brouillard, ainsi que je le fais souvent. Ce plaisir que je m'accorde car il n'engage que moi, ou presque, les presque moi, ceux dont la vie se rythme avec la mienne. Enfants, compagnon, mère. Je ne suis pas obligée, ni vous non plus, ce sont des désirs qui créent un mouvement. Les mouvements s'enchaînent ensuite. Il faut parfois y donner un surplus d'énergie. Passeports, enfants à « caser », à rassurer, me rassurer que je ne suis pas une mère indigne, égoïste, avec des besoins encore et toujours de chercher...témoignant ainsi qu'ils ne sont pas là pour me combler, même si pour eux j'aurai toujours envie de rentrer. Des billets d'avion, départ et retour, se libérer de toute autre obligation, être libre dans cette bulle de temps, se faire oublier des besoins des autres, et des siens. Ne rien prévoir. Pas de plan, pas de carte. Encore que des images et quelques histoires inventées. Je sais qu'au village ils accueilleraient tous les enfants. Les maisons sont ouvertes, les enfants bienvenus, de toutes couleurs bienvenus. Un vaccin, des vaccins, j'applique, je mourrai avec ou nous ne mourrons pas, pas de suite. Les histoires sont multiples. Que croire. Je ne veux pas penser, ne pas choisir, me laisser porter. J'ai assez travaillé. J'ai donné mon temps, mon sommeil, mes sourires. J'ai recueilli et gardé pour moi juste assez pour croire que je peux m'offrir une bulle de lumière, de soleil, de couleurs, de mouvements, de danse, de bruits, d'inconnu, je suis prête. J'ai envie d'aventure, me lancer comme une pierre entre vos mains et découvrir.

 

 

Ziguinchor. Ca sonne bien encore. Zig déjà pour plus d'intimité. On y est déjà. On le rêve déjà. Je sais que tu as parlé avec eux là bas. Ils existent bien. L'amie nous attend. Nous sommes attendus. Nous ne sommes pas seuls. J'ai porté, j'ai donné, j'ai juste besoin de me donner et prendre ce qui voudra bien m'arriver. J'ai confiance. J'ai peur aussi. Un mélange de tensions chaudes et froides. Rien de mal ne peut arriver. Mais alors pourquoi je range mes bien précieux. Qu'est ce qui sera retrouvé si je venais à ne pas rentrer? Et vous mes enfants, j'ai laissé dans vos vêtements des grigris précieux, à moi, pour si jamais..., comme si ce sentiment m'offrait la possibilité de goûter à ce que j'ai. Un court instant, je perçois le négatif de la photographie. Qu'est ce qui est vraiment? Qui sait jamais?

 

Arrivés. Les cerveaux brouillés par cette course finale frénétique. Pas de nuit, pas dormi. On est en sursis, on sent la vie. Je tiens mon bébé qui n'a rien choisi. A travers les vitres, je vois passer la ville. La vie se déroule comme si rien n'avait changé, comme si notre arrivée n'était pas remarquée. Quelques regards parfois croisés, et la main qui se tend. Je suis blanche. Mes yeux traversent, effacent, notent et oublient. Je ne ramènerai personne avec moi. Je suis égoïste, je veux vivre. Il y a toi, il y a lui et moi entre vous. Je me sens, je suis là.

 

Dakar. La poussière des rues. Les gens dans les taxis, dans les marchés. Je regarde, je prends des images, je les vole aussi parfois. Quand les regards m'arrêtent, je suis découverte. Je me surprends à croire qu'on ne me verrait pas. Ma blancheur, mon étrangeté, ma surprise, ma naïveté, ma fragilité. J'aimerais un instant échanger ma vie contre une des leur. Quotidien organisé dans ce bruit, cette chaleur, les fruits, légumes, de quoi vendre, de quoi manger, se battre, être fort, vivre, être fier. Mais dans les rues, la réalité me suit, on est vus, on nous suit, on nous parle. Tenter d'être spéciaux parmi ceux qui portent l'argent – que nous n'avons pas – être généreux, ouvert, simple, tranquille malgré les félins qui nous suivent. Accepter de jouer le jeu. Je me dis que les objets ramenés porteront un peu de la preuve de ce que je vis là et me dépasse. Il n'est pas question de mort. D'honneur peut-être. Puis aller plus loin, se perdre dans une bicoque où un poulet se cuit, se faire croire encore que l'on est invité, savourer l'ignorance dans laquelle où nous abandonne- la télé est plus forte. Puis, la nuit tombée, suivre les sons de la fête, les quelques lumières qui nous éclairent encore. Etre vus, invités, assis parmi les autres, témoins parmi les témoins, nos regards tournés dans la même direction, appartenant à la même humanité.

 

Les nuits dans ce quartier qui existait déjà, où on nous oubliera aussi. Quelques faux semblants, des sourires, mais je ne peux pas m'accrocher. Je veux te porter bébé, comme si je pouvais me confondre un instant à ces gens. Vite remarquée, comme mère je suis aidée. Je suis revenue avec son tissu à cette femme, j'ai senti, lavé, l'odeur. Je ne pourrai pas te porter comme ça, je ne peux pas, je suis moi, et mon corps ne peut pas. Accueillis dans ces lieux où vous allez, on tente d'entrer incognitos, on ne peut pas. On mange avec les doigts, on ne sait pas ce qu'on mangera, on mange, vous mangez. Si vous mangez, c'est que nous aussi humains on peut manger. Et cette plage où vous courrez, jouez, une autre femme blanche danse. Je ne danse pas. Je suis là comme je pourrai ne pas être là. Je vole des images que je n'avais pas. Est-ce que j'ai tout vu, déjà?

 

Le lendemain, le marché, les hommes qui nous tirent, nous sommes blancs. Tu résistes et je ris, je veux jouer un peu, tu es là pour me protéger non? On se sauve enfin, avant d'y laisser un peu trop de nos peaux. On est d'ailleurs, on se serre, on se retrouve, chez nous? Et encore ces marches, dans les quartiers où la vie se déroule, fêtes, fruits, cacahuètes. On nous regarde, on sourit, ils se parlent de nous, on existe ou on se perd. Tu es là bébé, international, universel bébé blond qui attire les regards, les désirs et l'amour. Tu es moi, cela ne se discute pas et je m'accroche à ta peau, à l'odeur que je connais. Qu'est ce qui compte? Qu'est-ce qu'on a trouvé? Que cherchait-on? Dans cette maison où l'on dort, règnent le deuil et l'acceptation, c'est ainsi que cela devait être, les larmes coulent et se sèchent, l'enfant court et crie. Les cloches sonnent, les voix chantent, la prière rythme le temps, comment ne pas croire lorsque tout l'air raconte la même histoire. J'ai envie moi aussi de lâcher mes peurs et de n'être qu'une femme, un être entrain de passer. Rien n'est à gagner, rien ne se perd.

 

Les aéroports, le temps qui ne se compte plus. Les gens qui passent, râlent ou rêvent. Ont-ils conscience de nos présences? Moi je les sens puis les oublie, je rentre en moi, ressors parfois.

 

Ziguinchor. Un hôtel comme on en dessine. Ces palmiers, les oiseaux, leurs chants, les couleurs, peintes et réelles, le fleuve et les bateaux. Ce sont de vrais hommes qui ramènent du poisson. On se pose, nectars de fruits, boissons inconnues qui enchantent. Des fleurs, des arbres, si c'est bon pour eux, j'aimerais. Je te regarde bébé tu savoures le temps. Les secondes. Tu explores. Chaque marche est une montagne, une victoire. Tes regards sont la preuve que c'est le bon endroit. On chante. On ose. On pourrait être n'importe qui, célèbres inconnus qui se croisent. Toutes les histoires pourraient être fausses ou vraies.

 

Au marché encore des fruits, toutes les vitamines sont à prendre et les couleurs. Quel est le juste prix du blanc ou du noir. Est-ce qu'on compte différent? Et ces sourires? Sont-ils les mêmes, ou même eux sont étrangers? Si la pièce tombe, le sourire aux lèvres, et si les talons tournent grimace? Une librairie, quelques livres, je retrouve ma terre connue. Les hommes essaient tous de mettre du sens à cette histoire, je ne suis pas la seule à chercher. Peut-être d'autres ont trouvé? Des taxis, des marchés croisés plus vite, encore des cacahuètes qui grillent, qui partent en fumée. Des plaisirs sûrs à prendre, les gens s'arrêtent, profitent, repartent.

 

On part encore, 7 et 1 dans un voiture,..., on est serrés, on respire à peine mais on respire encore. Bébé respire aussi et il dort. Les corps chauds, les corps noirs, la peau brillante, les tissus, les couleurs, les voix et les silences, les yeux qui brillent, la fatigue est partout, tous les corps fatiguent. Je dors. Ca secoue, ma tête cogne et me rappelle à la vie pour laquelle on se bat. Je te tiens bébé, et ton épaule est là. On avance sur le chemin, inconnu, mais choisi.

 

On arrive. C'est bien là. Sourires entendus, on est au bon endroit. L'amie sort de la maison, les yeux bleus, le sourire, les tissus colorés sur la peau blanche. Tout s'enchaîne. Je ne questionne pas, je suis. On nous attend, chaque chose a sa place. Le repas se sert, il y en a pour chacun, les appétits se répartissent le travail, les mots nourrissent aussi. Les mains ont trié le riz. Les voix, les rires inconnus, ont préparé pour que nos corps vivent. La maison pareil, un lit est là, de quoi dormir, coucher le corps fatigué. La terre, la vie, tombe au dessus de nos têtes. Les moustiques sont vaincus, les souris nous attaquent. Et toi bébé, tu dors dans ton petit monde de rêves de bébé. Tu n'as pas choisi de naître avec nous et cette vie. Les jours s'ensuivent, la vie du village, le jardin arrosé par les femmes, les légumes, l'eau tirée du puits, les pilons qui pilent, le thé qui se sert, les plats qui arrivent, poisson et riz, sauces, la chaleur vient et va. On se douche, l'eau du puits enlève la poussière qui retourne à la terre. Rien ne sert qu'à vivre. La fête a été vive l'an passé, il a fallu fêter les hommes qui grandissent et dans le bois la magie sacrée qui dirige en mystère. La fête plus forte que les ventres. Les enfants qui grandissent, fins et longs. Les petits qui jouent dans le sable. Bébé porté par les petits, les longs bras noirs. Les nez qui coulent, les seins qui paraissent, le lait qui nourrit, qui fait vivre. Et dans leur regard l'envie de cet autre monde qui est le notre et qu'ils croient le bon. Et encore des fêtes. Union des femmes et des hommes, pleurs cachés dans la danse et le riz; et la lutte dans le sable, la sueur qui colle, les muscles qui saillent et les hommes qui sont femmes pour retourner la tête et que dure la fête, se battre pour vivre encore. Oui, les hommes se battent, défendent leurs frontières, leurs droits, leurs bien, ceux de leurs femmes, leurs petits. Les femmes aussi se battent quand les hommes fatiguent, elles puisent encore l'eau, frappent le riz.

 

Ah Casamance! C'est la nature qui nourrit tes hommes, fruits, riz, feuilles, tout y est, pour soigner, pour panser, pour boire le thé. Dans la hutte, le fer se forge, la magie se fait. Depuis des décennies c'est ainsi, c'est ici. Un secret d'hommes je crois, mais la femme blanche n'y existe pas....et l'homme blanc est un fantôme qu'il faut bien caresser un peu puisqu'il est là. On nous dit les histoires, que l'on y croit ou pas. Cela importe peu, ils savent eux. La magie, les sorciers, les plantes à trouver, les formules à incanter. Les fantômes ici et là, ils passent, ils côtoient, qu'on y soit ou pas. Et la maison qui se fait, cette maison étrange, noire, blanche et terre. Les signes qui mélangent les histoires d'ici et de là bas. On repart comme on est venu, le temps est confondu, nos corps frémissent encore sur les machines à moteur. On n'y croit pas, on avance, on ne tombe pas. Et on repart encore, avec l'amie cette fois. On va bien marquer de nos êtres ce pays.

 

Le tour est retourné. C'est elle, l'amie, qui dit la magie à présent

 

Arrivée, partie plutôt, cela fait presque dix ans déjà, on se sait plus très bien quel voyage a été le premier. Le sol d'Afrique pourquoi ? Car c'est là que les choses l'ont guidée. L'enfant, la rêveuse, celle qui cherchait. Le rêve avait été brisé un peu trop tôt quand était partie cette mère qu'avait été sa grand-mère, celle qui avait su l'aimer. Depuis, elle avait cherché l'amour, celui qu'elle aimait, le vrai, celui qui ne veut rien en retour. Très tôt les couleurs, les formes l'avaient aidée à guérir de la peine trop dure des premières années. Elle avait appris les matières, celles qui impriment la vie, lui donnent des formes quand plus rien n'existe. Et les rencontres, les hasards, autour de fils à tisser le temps, des fêtes qui éblouissent la tête, qui aident à continuer. Elle avait suivi la piste, celle qui s'était ouverte, vers ce pays, de l'autre côté de la mer, comme l'imprimé de la feuille pliée. Et le temps passe encore. Les histoires s'étaient enchaînées, les fantômes l'avaient retrouvée, où qu'elle aille, elle devrait lutter. Alors elle avait lutté, pour cet ami qui s'était confié à ses épaules si frêles pour le porter. Et l'amie avait marché, traversé les lieux, rencontré, cherché ceux qui pourraient la guider. Elle avait trouvé sa famille, celle où ils se comprenaient, espéraient ensemble, sans questionner. Blanche ou noire, peu importe, face à la souffrance qu'il – son ami à elle – vivait. Ils se sont battus côte à côte. Tant qu'il vivait, ils étaient entraînés dans lutte qu'il leur donnait. Les nuits étaient passées sans sommeil, sans manger, à parler, écouter, et croire que tout est dit si on écoute vraiment. Il fut soigné, apaisé de leurs présences à ses côtés. Et elle a su qui elle était, retrouvée. Alors sa place, dans le monde, était décidée. Elle était passeur de fantômes. Elle a appris à écouter, dans le jour et les nuits, tout ce qui se dit, entendre les messages, ceux qui sauvent si on y croit.

 

 

Moi, je ne croyais pas. Ce n'est pas quelque chose que j'avais appris. Ni dans mes livres, ni par ma grand-mère. La mort, je l'ai croisée aussi. Celle de mon père surtout. Et depuis pourtant, il est là bien présent, bien sûr et je le dis sans ciller, sans hésiter. Il n'y a pas de vérité autre que celle que je vois. Mais malgré tout la peur est là, celle de perdre, celle de la fin, la mienne et ceux que j'aime. Et je n'ai pas appris à connaître le passage, celui du visible à l'invisible. Alors cette rencontre, cette certitude dans le regard, les silences qui racontent cette foi, et les preuves partagées si on veut bien les écouter. Je crois, je veux croire, et je censure toutes les autres voix. Pourquoi ne pas se laisser porter par la certitude. Nous avons aussi entendu, et vu cet homme, jeune et vieux à la fois, lui aussi de là bas qui ne s'y attendait pas. Est venue à lui une nuit, à son réveil, cette femme, cette enfant, venue d'un autre monde mais qui le nourrissait, le guidait, et jouait. Et un jour, il a tenté de tester la vérité et fait la recette comme racontée dans son somme guidé. Ca a marché,ça a soigné. Depuis, il n'a de cesse que de suivre les messages qu'il reçoit, qu'il passe d'un monde à l'autre par ses rêves qui le fatiguent et le nourrissent tout à la fois.

 

Elle aussi, l'amie, venue pour trouver sa paix, a trouvé qu'elle pouvait entendre les messages et soigner, elle et les autres, protéger. Alors pourquoi lutter, sinon continuer.

 

 

Guidée par elle, je suis arrivée dans cet hôpital où viennent ceux dont l'esprit souffre mais qui ne sont pas seuls encore. Que leur familles amènent ici pour qu'ils s'apaisent. Le plus étonnant est le décor. Des murs blanc, de la terre, beaucoup d'espaces vides, peu de gens. Les équipes malgré leurs peaux noires parlent le langage des livres, livres d'Europe, une langue qu'ils répètent au mot. Ce sont ces mots là, ces idées là, ces croyances là pour lesquels on les paye, pour les rôles qu'ils portent, médecins, infirmiers, élèves. Les fantômes ne se parlent pas, pas avec des mots qu'on relate dans des livres dans tous les cas!

 

Nous avions décidé que je passerais d'abord du temps dans le pays, dans le village, avec toi, l'amie, à tenter de comprendre de l'intérieur ce qui anime les gens. Comment ils vivent. Comment ils rythment leurs journées. Ce qui est important. La nourriture. Le jeu. Le thé. Le riz. L'eau. Les regards. Le feu. La nuit et la lumière. Etre ensemble. Les vêtements. Rire. La terre. Le toit. Les animaux. L'eau. La lumière.

 

Tu m'avais raconté comment tu en était arrivée là, ton chemin, ta douleur, tes questions, ta quête, ta fuite, tes trouvailles, ta surprise, ton acceptation, tes recherches, tes compréhensions. Je t'ai invitée pour raconter encore, pour traverser par l'histoire un peu ce chemin que tu as parcouru. Les jours, les nuits, la peur, les découvertes encore, le retour, les quatre directions et quelque chose que l'on ramène en soi. Quelque chose qu'on transporte vers les autres, qui passe de l'un à l'autre. Guidée par toi, j'ai rencontré l'eau, l'excitation, l'hésitation, et la certitude qu'il faut continuer jusqu'à l'arrêt pour trouver quelque chose. J'ai aussi fait face à l'animal, qui est là pour contrer la solitude, l'animal que je suis dans mon corps, mes besoins, mes douleurs, mes plaisirs. Dans ce moment, les pieds nus dans la rivière, dans la terre, j'ai cru comprendre un peu ce que tu avais traversé et en même temps ce que je voulais traverser.

 

 

Il est difficile de parler et d'écrire ce que l'on ne comprend pas encore.

 

Toi, blanche, vêtue de tissus de couleur, les pieds sur le sol africain depuis plus d'une dizaine d'années, des expériences fortes qui t'ont faite qui tu es, et un enfant métisse passé par ton corps.

 

Tu m'as proposé de partager cet espace avec toi, ce pays, ces lieux où tu as trouvé ces choses qui t'ont soulagée, guidée, et que tu portes en nous, celles qui m'attirent sans que je ne les saisissent. Tu m'as ouvert cet espace de recherche où tu fais se rencontrer tes connaissances, tes expériences avec ces phénomènes plus impalpables, moins parlables, qui se vivent et se ressentent comme preuve de leur existence.

 

La veille de l'atelier à l'hôpital psychiatrique de Ziginchor, je sentais encore que je ne savais pas mais j'avais confiance car tu m'avais montré ta confiance. Tu étais mon guide. Cela me fait du bien de m'appuyer sur un guide alors que j'ai l'habitude d'être le support. J'étais ouverte et confiante, prête à recevoir. Il y aurait la présence d'un autre « étranger » que tu avais joint à nous pour ce temps de rencontre. Nous venions avec toi représenter l' »autre côté » dans cet hôpital d'Afrique où pourtant les discours et les traitements s'appuient sur les recherches, les écrits et les « preuves » scientifiques de l'occident. Des équipes médicales africaines formées dans le même cadre de soins psychiques que nous, mais avec leur histoire d'africains, leurs familles d'africains, leurs quotidiens d'africains où se croisent les modes de pensée sur le monde.

 

Comment pense t'on la psyche d'un lieu à l'autre? Toi qui vient du même pays que moi, avec tes histoires et tes voyages sur ce continent, tes rencontres, ton union avec un homme de ce pays et cet enfant qui tente d'incarner ce espace entre vous deux. Tes croyances et les siennes qui se sont rapprochées, qui se confondent peut-être un peu. Je l'ai questionné, je n'ai pas trop osé, tu es pour moi celle qui est autorisée, car tu as fait les voyages, tu as pris le temps, tu t'es transformée peu à peu pour comprendre ce langage, voir ce monde que je ne vois pas mais auquel j'ai envie de croire...

 

Je me questionne sur la mort bien évidemment. L'intolérable de la séparation totale, de la fin certaine où tout s'arrête est inconcevable, trop dur. Mes enfants m'interpellent face à ce que je ne peux répondre, et j'ai envie de croire. Croire que l'on reviendra, nourrisson, dans cette même famille, enfant de ses enfants? Croire que l'on deviendra l'animal totem qui nous inspire et nous donne force en ce monde. Croire que l'on peut passer d'un monde à l'autre par une porte invisible qui s'ouvre au même lieu au même temps. On ne peut pas juste disparaître comme ça!

 

Je me suis retrouvée seul dans ce taxi qui m'amenait vers l'hôpital. Tu m'avais proposé de t'accompagner, mais aussi de porter un peu de ce temps d'atelier thérapeutique, le début, la fin, par les pratiques de dramathérapie que je connaissais. Je ferais office de cet espace intermédiaire entre le vécu quotidien de ces patients africains et l'espace thérapeutique, entre art thérapie occidentale et thérapie traditionnelle, que toi et Vieu offraient. Dans ce taxi déjà, je me sentais moins étrangère. J'allais à l'hôpital psychiatrique, ce lieu de l'inconnu. Là où l'on tente d'apaiser, d'ordonner, de donner du sens à ce qui dépasse, à ce qui ne peut plus être contenu en famille. Les familles qui font confiance lorsqu'elles ne maîtrisent plus, qui laissent leurs enfants, leurs proches entre les mains d'autres pour qu'ils trouvent des moyens qui apaisent. Des familles qui espèrent et donnent leurs biens en échange de cette promesse d'un soin. Chercher d'apaiser la souffrance psychique, c'est ce que je fais moi aussi depuis des années, par ma présence, mes mots, ma connaissance, mais aussi par les histoires, les jeux, les rituels dramatiques qui me dépassent aussi et auxquels je confie les situations que je ne comprends pas. Oui, c'est cela auquel je crois, la puissance de l'imaginaire, des images qui se rencontrent entre mondes, entre psychés, et qui, par ce fait, se transforment, trouvent une nouvelle forme, et apaisent...

 

Je suis là, seule, arrivée la première. La porte est grande ouverte. Hôpital psychiatrique au bout d'une longue allée de sable, au bout de la ville. Les gens marchent, entrent, sortent, il y a du monde près de la porte. Je ne peux distinguer qui est famille, qui travaille, qui a besoin de soin. Pour moi, les stigmates, les indices de la maladie mentale sont encore plus flous dans ce lieu où je comprends si peu. Je ne peux que rencontrer des gens. Est-ce que la maladie mentale sera la même. Je n'arrive pas à plaquer mes cadres diagnostiques dans ces lieux. Autisme, psychose, borderline, traumatisme, comment ces concepts peuvent-ils prendre forme dans des psyches que je ne parviens pas encore à me représenter? Je m'intéresse depuis des années à cette question, au sens que la maladie peut prendre dans d'autres contextes. Qu'est-ce qui angoisse, manque dans un autre mode de vie; et comment la « folie » se définit. Folie signifiant inquiétant, différent, insaisissable...Et ce principe de communauté où l'individu se définit par son groupe. Comment alors sa souffrance, ne serait plus individuelle mais appartiendrait au collectif, ou encore plus, au monde du vivant. Comment ce déséquilibre viendrait raconter une dysharmonie de tous les éléments qui entourent la personne et comment rééquilibrer cet environnement pour que la souffrance s'apaise. Oui l'idée me charme même si elle me semble trop poétique, trop naïve peut-être, trop politique. Il faudrait intervenir au niveau même de tous ces éléments, mais comment en n'étant que soi? Il faudrait se fier aux autres, se lier, faire corps face à la maladie? C'est ce que tu m'as raconté. C'est ce que j'ai cru comprendre. Comment tu as entendu le besoin de cet ami de retrouver les siens, comment tu l'as ramené de là où il venait et comment ils ont compris, t'ont accueillie, malgré les différences visibles, car ils sentaient la même chose que tu sentais. Comment, dans un même mouvement, la famille de ton ami et toi-même, par des pensées qui se rencontraient, une présence quasi constante, un décentrage de vous-même pour vous centrer sur lui, l'auraient peut-être guéri ?

 

J'aime cette histoire, elle m'inspire, elle m'attire, elle me dépasse, elle parle honnêtement des limites de ce que l'on peut comprendre. Elles invitent à s'ouvrir, faire confiance, suivre ce qui semble juste pour contribuer à la remise à la juste place de chaque élément et à l'apaisement.

 

Et moi, que dois-je faire pour ces personnes que je ne verrai qu'un instant de leur vie? Ton projet est créé ainsi: des rencontres courtes, des gens qui viennent et partent. Vous ne les rencontrerez certainement qu'une seule fois. C'est ainsi. Est-ce que cette rencontre unique peut leur permettre de rassembler les images, les temps, les croyances, leurs sens? Est ce que ta présence, ton histoire, tes croyances; est-ce que les cories, les rêves, les connaissances, tout cela rassemblé en cet instant peut suffire à éclairer?

 

Vous ne prétendez pas soigner, mais tenter de leur donner quelque chose dont se saisir, s'accrocher à une image qui aurait du sens pour eux; ouvrir des accès vers des chemins où ils pourraient aller. Le médecin de l'hôpital t'a accueillie il y a quelques années. Tu apportais les connaissances, les expériences, tu étais soutenue par tes croyances mais dégageais aussi une force qui rayonnait. Tu as su le convaincre. Peut-être avait-il besoin que ce soit une autre que lui qui puisse porter ces croyances par ici. Représentant de la médecine officielle, ils ne peuvent clamer à voix haute des choses qui ne s'écrivent pas, ne se prouvent pas. Les croyances ne se disent pas tout haut, ne s'impriment pas dans les livres de médecine, pas dans les écoles...Les croyances se vivent, en famille, chez soi, lorsqu'on est face à la mort, la peur et la maladie.

 

Rachid arrive bientôt. Il me reconnaît immédiatement. Ai-je l'air blanche? Lui est africain, africain blanc, africain de France, né en Algérie. Je ne pourrai pas parler de ses croyances. Il ne voulait pas étudier à l'école, il voulait vivre, travailler; il était malin et a saisi l'occasion pour gagner sa vie en informatique. Il s'est vite engagé dans des questions de droits, devenant porteur de ces droits pour les autres. Envie d'équilibrer, d'harmoniser le monde lui aussi? D'y trouver un sens, et une place pour lui.

 

Puis tu arrives toi aussi. Avec Vieu, le tradithérapeute que tu as choisi pour t'accompagner dans ta mission et accomplir par cela même celle qu'il a reçue. Utiliser ses connaissances, ses visions, ses intuitions pour en faire bénéficier aux autres. Est-ce que lui aussi dort mieux, est apaisé lorsqu'il accomplit ses rêves? Est-ce pour cela qu'il n'a pas le choix. Car un tradithérapeute se découvre en l'expérimentant, en découvrant sa capacité à voir les plantes-médecine dans ses rêves, les lieux où elles poussent, comment les transformer en potion qui soigne; en rencontrant en songe les personnes qui souffrent ou celles qui le font souffrir. Si j'ai bien compris, une partie de ces êtres voyagent et n'est visible qu'à certains qui en découvrent alors les secrets. Pour celui qui voit alors comment soigner, il n'a pas tant le choix de faire connaître et soulager ou alors il porterait la responsabilité et les souffrances suite aux messages non acheminés.

 

Nous nous retrouvons bientôt dans la salle de travail. Une salle de réunion où sont affichés les droits de la femme envers son corps. Comment définit-on ses limites parmi les autres? Comment l'individu se départit du groupe qui pourtant lui permet d'être aussi?

 

Des hommes sont assis, attablés, ils ne se retournent pas à notre arrivée. Il y a des infirmiers, je crois, qui parlent avec toi. Le groupe peut accueillir 6 personnes maximum. Tu m'avais dit que le groupe n'était jamais plein. Ils sont six. Est-ce pour notre arrivée en grand nombre? Est-ce parce que c'est l'autre médecin, celui avec lequel tu n'as pas préparé le projet, qui coordonne en ces jours. Tu viens de lui rappeler qu'on viendrait pour la réunion clinique que tu prépares depuis des mois et qui change de jour, sur laquelle d'autres sujets ont été greffés. Est-ce une manière de compenser le manque de « partenariat » ? Tu m'avais demandé d'écrire un courrier pour exposer ma venue au médecin. J'avais senti combien pour toi ce besoin de se rassembler pour discuter de nos pratiques, de nos cliniques était important. J'étais surprise que cela n'ait pas eu déjà lieu. Comme un sentiment que les choses arrivent comme elles doivent arriver, sont acceptées, mais non parlées. Les choses se font, on ne sait pas trop comment, pourquoi, elles se font, car chacun est d'accord sans pouvoir y mettre des mots.

 

Le groupe de patients est constitué d'hommes, plutôt jeunes, je ne m'y attendais pas. On ne sait rien d'eux. Tu me dis que tu préfères les rencontrer ainsi. Le médecin dira que nous avons accès aux dossiers, que nous sommes intégrés dans l'équipe de soin. Tu préfères ne pas t'imprégner de leurs termes, de l'histoire écrite, des diagnostics. Laisser faire l'occurrence de ta présence, de ce que tu connais, de celle de Vieu, de ce qu'il apporte et voit, et de leurs histoires, et de ce qui ne se voit pas.

 

Tu m'a proposée d'ouvrir et fermer l'atelier, par des « jeux ». Je sens la lourdeur. Est-ce que ces jeunes hommes sont d'accord d'être là ? Est-ce qu'ils savent ce qu'est cet atelier? Parlent-ils français? De quoi souffrent-ils? Ces questions me passent vite par la tête mais je décide de me rassurer et de me faire du bien avec ce que je connais. Moi aussi, je fais confiance à ce qui passe par moi, cela semble être notre règle commune. Accepter, être ouvert à ce qui est. Un jeu, en cercle. Il faut se lever, se rapprocher. On est ensemble. L'un d'entre eux, dès le départ, alors même que tu installais les tables avait nommé son rôle: « C'est moi qui parle ici ». Dans le jeu, alors que je propose que chacun se présente avec un geste racontant quelque chose qu'il aime, il veut être à la place de chaque autre aussi. Mais les règles du jeu sont claires, c'est chacun son tour, chacun pour soi, même si le groupe reste témoin de chacun. Tous participent, soignants et patients, les soignants découvrent aussi le jeu avec étonnement, hésitation, plaisir, soumis à ces passages d'émotions. Je propose ensuite que nous mimions le passage d'une balle de l'un vers l'autre, un jeu de toutes les langues, toutes les cultures. Je me questionne sur le risque de passer pour puéril, mais la « balle » passe et les sourires avec, et le mouvement, les corps se mobilisent. Ceux qui semblaient absents apparaissent, les regards sont là qui rient aussi. Je me sens bien, on est ensemble. Petit à petit la « balle » se transforme en poids plus ou moins lourds qu'on se communiquent. La règle est comprise aussi vite par les patients que par les collègues non initiés. Le plaisir du jeu est là. Nous avons une mission commune! Les jeux se terminent, je me sens bien, j'ai une place parmi vous, j'ai une place dans ce monde. J'ai pu participer à donner un moment de plaisir. C'est en cela que consiste le soin, apaiser, créer du lien, du mouvement qui se communique entre nous.

 

Nous nous retrouvons autour de la table. Tu as sorti les pots de peinture: trois couleurs, noir, rouge, blanc. Noir pour la magie, les ancêtres, la tradition ; rouge pour les rois ; blanc pour la religion. Les trois forces qui régissent ce monde. C'est beau des couleurs, c'est beau aussi les croyances. J'aime les contes de fées, je les raconte. J'aime les contes d'Afrique, d'animaux, de plantes et de pierres qui vivent ensemble. Je les raconte. J'aimerais des histoires de mort auxquelles croire.

Il y a des feuilles pour chacun - des sacs de ciment ouverts- ...ils peuvent peindre. Ils ont entendu l'histoire des couleurs. Je regarde. A mes côtés un visage, des cheveux, un cigare, un sourire, de la vie, du plaisir. En face un chien, la mort. Il regarde le visage qui fume, il sourit aussi. Les regards se croisent. De l'autre côté de la table, une main sur le pinceau, la goutte de peinture qui tombe presque, les paupières aussi. Je te regarde, tu ne vois pas. Je ne suis pas bien sûre. Attendre, que la goutte tombe? Pas de danger réel mais ce sentiment de vide, de solitude, d'un corps qui tombe. Je me lève, je me rapproche, pas de réaction, je suis invisible. Je prends la parole. « Ton pinceau ». Il le redresse. La goutte tombera dans le pot. Je suis rassurée. Il se repositionne. La fatigue le gagne. De l'autre côté de la table, du noir, des tâches, le noir remplit. Des mots. Qui sont recouverts. Des messages à capter. Trop tard. La clé à comprendre? Trop tard. Il fallait être là et voir..La porte s'ouvre, un homme entre et se penche sur le dessin, questionne. Je ne suis pas sûre, l'homme semble être touché. J'apprendrai plus tard que c'était bien le père du jeune homme – qui n'a jamais beaucoup parlé – et là il peint, il semble prendre plaisir – s'éveiller, le père veut saisir cette chance. L'autre jeune homme agité, celui qui « décide », se lève, s'approche, me parle, il semble avoir besoin d'être aimé, touché. Les autres comptent peu si ce n'est pour le voir. Il me touche, il me parle de séduction, il touche mes limites, ma personne qui ne veut pas être touchée ainsi. Je le lui dis. Il s'offusque un peu. Il veut sortir, partir? Je lui laisse cette liberté de prendre des distances, de changer le cadre. Tu réagis, c'est toi qui tient ce cadre. Il est fragile. Tant de contours flous. Tant d'inconnus. Il faut bien tenir le cadre. Je comprends, ça me va bien, c'est à toi que je laisse la tâche. Je m'étais perdue un peu, trop d'insaisissables, l'angoisse au dessus du seuil. D'habitude, je tiens le cadre, je m'appuie sur mes limites, ce que je ressens, comprends du monde. Là je me laisserai guider. Tu m'as demandé d'écrire. J'écris, j'écris ce que je vois, tout, j'essaie, les mouvements, les formes, les couleurs, les distances, les émotions, les idées qui me viennent. Je ne sais pas dans quel cadre tu veux ranger ces mots, alors je te mets tout en brut, en vrac, sans tri, je ne suis qu'un passeur, qui n'a rien à comprendre. Ca me va bien, ça m'apaise.

 

C'est le temps de raconter les images. C'est l'auteur du dessin de l'homme qui fume qui raconte. Nous avons bien senti sa présence, sa jubilation. Les autres participants se sont tournés aussi vers sa création. Quelque chose nous touche tous. Il raconte. La musique, ce qu'il aime fondamentalement. Ce qu'il est, la fumée, le plaisir, les cheveux longs. Ce qu'il est vraiment. Et comment il souffre que sa famille n'ait pas accepté ce qu'il est vraiment et comment il a renié tout cela en se privant de la musique, des cheveux, pour incarner son rôle de professeur de philosophie. Mais il a fui, il a passé la frontière, il a tenté de retrouvé un ami, qu'il n'a jamais trouvé. Et il est revenu au pays. Il ne peut plus faire semblant et renier ce qu'il veut être vraiment. Alors il tente d'oublier qu'il souffre, en fumant. Ses parents l'ont amené là. Il parle d'un frère, un frère qui n'a pas joué le rôle qu'il devait jouer en famille. Il était le grand, il aurait du porter le poids de sa place, les transmissions qui lui incombaient. Il ne l'a pas fait, et c'est notre patient qui s'y est retrouvé, à cette place rejetée. C'est déséquilibré. Qui doit ordonner cette famille? Et alors que son frère évite sa tâche, c'est lui que les parents accusent de ne pas respecter les règles. C'est pour cela qu'ils l'ont envoyé ici, pour le remettre dans les règles. Est-ce cela le soin psychique? Remettre dans les règles, les règles de quel jeu de société? Et nous, soignants d'ailleurs, quelles règles nous tiennent? Celle de l'hôpital, celle de la famille, celle de notre cadre clinique de pensée psychiatrique, celle de cette société traditionnelle dont je connais peu les lois, ton cadre qui navigue dans tout cela? Je ressors sans avoir bien compris je l'avoue mais j'accepte cela. Je suis venue sans mission, juste une aspiration à découvrir quelque chose que je ne connais pas. C'est un peu inquiétant, ça titille, ça attire. Je reviendrai demain, encore après. Je n'ai pas besoin de comprendre. Chacun repart vers chez soi.

 

Kathleen O.